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Vincent Grange - La maison de Dorothy
Depuis les années 1950 aux États-Unis, les hommes gays, et plus tard la communauté LGBTQIA+ en général, se présentaient comme des «amis de Dorothy» afin de communiquer discrètement leur genre ou leur orientation sexuelle. En 1981, le Naval Investigative Ser- vice a eu vent de ce phénomène au sein de l’armée américaine à Chicago et a lancé une enquête importante pour attraper Dorothy, es- pérant qu’elle partagerait les noms de tous ses amis militaires gays.
Cette installation immersive invite le public visiter les différentes pièces et couloirs de la Maison de Dorothy, cette femme imaginaire re- cherchée. En plus de condamner cette enquête homophobe à travers une philosophie de l’ab- surde, ce projet rend hommage aux nombreux espaces queer à travers le monde et leurs his- toires, et entend rappeler l’importance de leur existence. À l’intersection de l’Histoire Queer et du design spatial, l’architecture, les artefacts et les différentes machines contribuent à raconter la vie imaginaire de cette femme extraordinaire.
Pour rendre hommage à ceux qui ont dû se cacher et à ceux qui le font encore, la Mai- son de Dorothy n’est pas facile à trouver,
le drapeau n’est pas suspendu au balcon et aucune fenêtre ne semble indiquer ce qui se trame à l’intérieur - une seule ampoule nue est suspendue devant une entrée cachée, indiquant à la communauté qu’il s’agit d’un espace safe.
Il faut du courage aux personnes queer pour se rendre dans un espace queer pour la première fois, et parfois son accès peut être difficile. Ici, les visiteurs doivent traverser un tunnel à quatre pattes pour entrer dans la maison, ce dernier rend hommage à différents lieux
« portails » décrits comme des espaces queer importants par la communauté. Certains sautent dans un train en tant que femme et descendent dans une autre ville en tant qu’homme, certains utilisent le dernier wagon du métro de Mexico City comme lieu de cruising, et Vincent a considéré la frontière française comme son espace queer pendant plus d’un an.
Malheureusement souvent à l’intérieur et même sous terre, beaucoup d’espaces de rencontre queer en période de ségrégation
sont fermés et cachés. Cela explique pourquoi la maison est un espace clos. Cela explique également les néons qu’il a utilisés au pla- fond, une lumière généralement utilisée em sous-sols. La maison compte de nombreuses pièces et couloirs, inspirés par l’architecture en labyrinthe des saunas gays et de leurs couloirs serpentins multidirectionnels destinés à provo- quer des rencontres imprévues - forçant l’ou- verture à des éventualités et des possibilités inconnues.
Vincent a repris la définition d’un espace queer de l’écrivaine et activiste espagnole Ailo Ribas : « Un espace queer est simplement un es- pace qui nous permet d’être en bonne relation avec le changement, la transition, qui nous apprend à nous déplacer entre les mondes,
à changer de forme, et qui nous apporte les compétences nécessaires pour engendrer et concevoir nos propres mondes, [...] » - une définition qui atteint chaque membre de la communauté qui a dû transitioner d’une ma- nière ou d’une autre à un moment donné, dans ce monde hétéronormatif. Vincent a donc uti- lisé le mot-clé « transition » pour façonner les différentes pièces de la maison.
Une machine à codes secrets transforme les déchets en différentes formes, puis les colore en les laissant sécher sur un ascenseur rota-
tif : le triangle rose des camps de la Seconde Guerre mondiale à l’envers, les œillets verts d’Oscar Wilde à porter sur une veste, les doigts sans ongles, divers bandanas de couleurs à laisser dépasser de ses poches arrière, et les violettes... Divers codes utilisés par la commu- nauté au cours de décennies de ségrégation, pour mettre en valeur la créativité des per- sonnes LGBTQIA+ lorsqu’il s’agit de se réunir dans les moments difficiles - un vaisseau pour honorer ces expressions queer historiques. Cette machine est aussi une métaphore du parcours des visiteurs à l’intérieur de la Maison de Dorothy - par son entrée difficile et sa sortie catwalk - ils rentrent d’une certaine façon et en ressortent d’une autre - qu’il s’agisse d’aider les membres de la communauté à transitioner ou simplement sensibiliser les non-membres à l’importance des espaces queer.
Pour souligner l’absurdité de cette enquête menée par le NIS, Dorothy répond par des «pièges» absurdes qu’elle a positionnés dans la maison, tels que des doigts qui tapent robotiquement au clavier dans son bureau et des
perruques sur des chaises pour simuler sa présence en cas d’invasion policière.
Pour souligner le voyeurisme qui entoure la communauté, ce sont les personnes à l’inté- rieur de la maison qui ont désormais les yeux rivés sur les personnes à l’extérieur. Quatre écrans diffusent en direct l’extérieur de la mai- son et agissent comme un système de surveil- lance pour assurer la sécurité de Dorothy et de ses invités. Un judas est également positionné au-dessus de l’entrée, accessible depuis le lit secret de Dorothy où elle peut se cacher de la police.
Pour rappeler le besoin d’espaces queer, dans un monde où les personnes queer risquent encore la prison, de subir des châtiments corporels ou même la mort dans certains pays, une machine dans le bureau de Dorothy est capable de téléporter la maison et envoyer
sa nouvelle localisation aux membres qui ont besoin d’elle - encore une fois, une solution absurde à un problème absurde.
Les chercheurs indiquent que le code secret des «amis de Dorothy» a été utilisé pour la première fois dans les années 1950. Alors que certaines personnes affirment que l’origine du nom vient de Dorothy Parker, la majorité pense qu’il vient du per- sonnage de l’icône gay Judy Garland dans le film de 1939 «Le magicien d’Oz» - dans lequel elle se lie d’amitié avec des personnes étranges et diffé- rent. Judy Garland qui aurait 100 ans aujourd’hui, et l’expression «Amis de Dorothy» de plus de 70 ans ont rapidement donné à la maison cette esthétique d’appartement de grand-mère, même si l’époque se brouille avec quelques artefacts modernes position- nés ici et là, pour rappeler que ce problème est toujours d’actualité.
Cela nous ramène également à la scène ballroom new-yorkaise dans laquelle la plupart des partici- pants appartiennent à des groupes appelés «mai- sons» - des sortes de familles choisies dirigées par une «mère» ou un «père» - généralement des drag queens, des hommes homosexuels ou des femmes transgenres qui enseignent la culture ball à leurs «enfants» - souvent rejeté.e.x.s par leur propre famille. On peut voir sur les murs des traces de dizaines d’activistes et d’icônes LGBTQIA+ qui ont grandi avec leur amie, ou grand-mère imaginaire commune, Dorothy.
ENG
Vincent Grange- Dorothy’s house
In order to avoid persecution for homosexuality in the United States during the mid 20th cen- tury, gay men, and later the LGBTQIA+ com- munity as a whole, introduced themselves as “friends of Dorothy” in order to discreetly communicate their gender or sexual orien- tation. In the 1980s, the Naval Investigative Service heard about this phenomenon within the US army in Chicago, and led a prolonged and futile investigation to catch Dorothy, hoping she would share the names of all her gay friends in the military.
This immersive installation invites the public
to embark on a journey through the different rooms and corridors of the House of Dorothy, this most wanted imaginary woman. In addition to condemning this homophobic investigation through a philosophy of absurdity, this project stands as an homage to the many queer spaces around the world and their stories, and intends to highlight the importance of their existence. At the intersection of Queer History and spatial design, the architecture, artifacts, and different machines contribute to the story- telling of the imaginary life of this extraordinary woman.
After reading the book Queer Spaces: An Atlas of LGBTQ+ Places and Stories edited by Adam Nathaniel Furman and Joshua Mardell, Vincent identified with many of its stories and got greatly inspired by the storytelling design of many of those places. Born in Switzerland, he has the luxury to live in a country that has recently made a lot of progress towards treating the community as equals. And while 33 countries now recognize same-sex marriage, it is important to know that 67 countries still criminalize homosexuality and transexuality on diffe- rent scales, going from imprisonment, corporal punishment in 13 countries and even death in 11 countries. This project is not a suggestion of the perfect safe space to be opened, it intends to pay homage to various queer spaces around the world, and acts as a physical manifesto to remind the importance of their existence, even today.
As to pay tribute to those who have had to hide and those who still do, and as most hidden in plain sight queer spaces, Dorothy’s House isn’t easy to find, the flag isn’t hanging from the balcony and no windows seem to indicate what is going on inside – a single bare lightbulb hangs in front of a hidden entrance, hinting at the community that this is a safe space.
It requires courage from queer people to go to a queer space for the first time, and some- times its access might be difficult. Here, visitors must go on four legs to enter the house through a tunnel which pays homage to diffe- rent “portal” locations described as important queer spaces by the community. Some would hop on a train as a woman and come out in
a different city as a man, some used the last subway carriage in Mexico City as a cruising spot, and Vincent has been considering the French border as his queer space for a whole year.
Sadly often inside and even underground, a lot of meeting queer spaces in times of segrega- tion are closed and hidden. This explains why
the house is a closed space. It also explains the neon lights he used on the ceiling, a light typically used in basements. The house has many rooms, and tiny hallways, inspired by the labyrinth architecture of gay saunas and their multidirectional serpentine hallways meant
to allow unplanned encounters - forcing the openness to unknown eventualities and possi- bilities.
Vincent took the definition of a queer space of spanish writer and activist Ailo Ribas:
« Queer space is simply that which allows us to be in right relationship with change, that which teaches us to move between worlds,
to shapeshift, to learn and teach the skills necessary to gestate and conceive our own worlds, [...] » - a definition that reaches every member of the community who has had to transition one way or another at some point, in this heteronormative world. He therefore used the keyword “transition” to shape the different rooms of the house.
A Secret Codes machine transforms rubbish into various shapes, and then colors them, let- ting them dry on a rotating lift: the pink triangle from the WWII camps turned upside down, Oscar Wilde’s green carnations to be worn on a jacket, fingers without nails, various colors bandanas to let protrude out of one’s back pockets, and violets... Various codes used by the community over decades of segregation, to showcase the creativity of LGBTQIA+ people when it comes to getting together in hard times, a vessel for honoring these historical queer expressions. This machine is also a metaphor of the visitors’ journey inside Dorothy’s House – through its difficult entrance and its catwalk exit - this house allows them to come in as so- mething and to come out as something else – whether it is about helping members of the community to transition into what they need or simply make non-members more aware of the importance of queer spaces.
To point at the absurdity of the Dorothy investigation by the NIS, Dorothy responds with absurd “traps” she has positioned around the
house such as robotic typing fingers in her office, and wigs on chairs to fake her presence in case of a police invasion.
To emphasize the voyeurism surrounding
the community, people inside the house now have eyes on people outside. Four screens live stream the exterior of the house and act as a surveillance system to ensure the safety of Dorothy and her guests, and a peephole is positioned above the entrance reachable from Dorothy’s secret bed where she can hide from the police.
To remind the need for queer spaces, in a world where queer people still risk going to prison, physical punishment or even death for being themselves in some countries, a machine in Dorothy’s office can teleport the house to where it is needed and send its new location to queer people - again, an absurd solution to an absurd problem.
Researchers imply that the “friends of Dorothy” secret code was firstly used in the 1950s. While some people argue that the origin of the name is coming from Dorothy Parker, the majority thinks it comes from the character of gay icon Judy Garland in the 1939 movie “The Wizard of Oz” – in which she makes friends with people who are peculiar and different. Judy Garland who would be 100 years old today, and the over 70 years old “Friend of Dorothy” expression quickly gave the house this grandmo- ther’s apartment aesthetic, even though the time period gets blurry with some modern artefacts posi- tionned here and there, to remind that this problem isn’t a thing of the past.
It also takes us back to the New York ballroom scene in which most participants belong to groups known as “houses” – sorts of chosen families lead by a “mother” or a “father” typically drag queens, gay men or transgender women who provide ballroom guidance to their “children” – often es- tranged by their given family. We can see on the exit wall traces from dozens of LGBT activists and icons who grew up with their common imaginary friend, or Grandmother, Dorothy.